Raphaëlle Delaunay, une danseuse qui n’a peur de rien

Raphaëlle Delaunay, une danseuse qui n’a peur de rien
Culture
  • La Pantinoise Raphaëlle Delaunay est de celles qui ne s'interdisent rien et foncent droit vers leurs désirs.
  • À 47 ans, cette artiste nomade a travaillé pour les plus grandes compagnies européennes et exploré le répertoire créole ou noir américain.
  • Rencontre avec une « danseuse météorite » qui a cherché à laisser sa trace en hybridant les influences et les styles.

Vous êtes née en banlieue dans une famille de quatre enfants et vous vous passionnez très jeune pour la gymnastique et la danse classique. Pourquoi ?

J’avais sans doute pas mal d’énergie à canaliser… À l’époque, ma professeure du conservatoire, diplômée de la Royal Academy of Danse a vu mes capacités et m’a incitée fortement avec d’autres à passer le concours de l’École de l’Opéra de Paris à 10 ans alors que je n’avais pas de motivation particulière. Je reconnais que c’était une chance extraordinaire. Une fois qu’on a intégré les rangs de cette école, on acquiert une formation d’excellence qui vous cadre pour toute votre carrière. J’ai eu mon premier engagement à 15 ans dans le Ballet de l’Opéra de Paris et j’ai pu interpréter un ensemble de rôles du répertoire classique, moderne, néo-contemporain comme Roland Petit, Martha Graham, Rudolf Noureev, Maurice Béjart…

Vous démissionnez de l’Opéra de Paris à tout juste 19 ans pour rejoindre l’ensemble de Pina Bausch au Tanztheater Wuppertal en Allemagne. Un choix de cœur pour cette chorégraphe mais aussi une décision risquée…

Je suis mon instinct et cela m’avait semblé naturel de me rapprocher de cette chorégraphe hors du commun. Ce n’était pas une décision facile à prendre car le système de l’Opéra de Paris me laissait miroiter de belles perspectives. Il s’agissait plutôt de satisfaire une grande curiosité et de rester en permanence en alerte sur les apports des chorégraphes contemporains. Aujourd’hui, je reconnais volontiers l’aspect frondeur de ma démarche.

Pina Bausch savait valoriser ce que chacun avait de singulier dans sa troupe et savait disposer avec talent des émotions de ses danseurs. Elle m’a aidée à me révéler. Puis pour l’athlète que j’étais, est arrivé le moment où j’étais en manque de transpiration, de dépense physique et j’ai décidé d’aller voir ailleurs si j’y étais…

Vous enchaînez les créations au service de compagnies européennes prestigieuses comme celles de Jiří Kylián, Alain Platel et bien d’autres…

Je n’ai pas voulu me restreindre à un genre particulier, d’autant que ces chorégraphes avaient l’intelligence de choisir des artistes issu∙e∙s de milieux très différents. Malgré tout, je prenais des risques mesurés car j’intégrais des compagnies européennes très reconnues comme le Nederlands Dans Theatre ou Ballets C de la B. J’ai pu me frotter à l’abstraction des ballets du tchèque Jiří Kylián. J’ai exploré ensuite la danse contemporaine auprès d’Alain Platel avec Wolf, une pièce inclassable inspirée des banlieues, dans laquelle je suis enceinte d’un petit chien que je porte en kangourou. Alain Platel a su humaniser les 14 chiens présents sur scène et travailler sur l’animalité d’une meute quelque peu déjantée de danseurs, une expérience passionnante.

Malgré votre carrière internationale, vous multipliez les engagements en Seine-Saint-Denis où vous vous installez en 2002…

Je suis pantinoise depuis 22 ans et amoureuse de la richesse culturelle de ce département qui est un laboratoire de création à proximité de la capitale. Entre la MC93 à Bobigny, la Villa Mais d’Ici d’Aubervilliers, le festival Banlieues bleues, les Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis… je dois maintenant me forcer pour sortir à Paris ! J’ai pu par ailleurs réaliser des résidences artistiques au Théâtre du fil de l’eau à Pantin, puis à Romainville ou Tremblay-en-France et animer notamment des parcours Culture et Art au collège auprès de scolaires, des ateliers auprès de femmes au foyer… L’expérience de la transmission a été très enrichissante et j’espère que les élu·e·s auront de moins en moins d’hésitations à intégrer la danse dans les apprentissages ou les expériences de partages collectifs.

Vous passez progressivement à la chorégraphie avec Jeux d’intention en 2003 puis vous fondez votre propre compagnie Traces située dans les Hauts-de-Seine. C’était par goût de la transmission ? 

J’ai eu la chance de travailler avec des gens formidables qui ont apprécié ma singularité et m’ont laissé m’exprimer. J’ai beaucoup d’imagination pour reprendre l’expression de ma mère et j’aime mettre en présence des choses très différentes considérées comme antinomiques, sonder cette zone de collision entre le chaud, le froid, l’ancien, le moderne… Idem pour le syncrétisme ou la créolisation des cultures. J’ai été plutôt voyageuse du fait des tournées au sein de compagnies internationales, mais c’est vrai que ce goût pour la transmission m’a quelque peu sédentarisée puisque j’enseigne au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris à deux pas de Pantin.

Vous enchaînez ensuite les créations avec Vestis en 2006, Bitter Sugar trois ans plus tard, Chez Joséphine (Baker) en 2013 avant de réaliser un seule en scène très personnel. Votre façon de dépoussiérer certaines danses ?

J’aime mettre en présence la rigueur du classique et l’exubérance des danses afro-américaines… ce que j’ai fait dans Bitter Sugar. Les danses dans toutes leurs diversités me passionnent et j’aime me documenter afin d’en comprendre les ressorts, la façon dont elles reflètent l’âme des minorités, des contextes. J’ai voulu rendre hommage à l’énergie des danses sociales américaines comme le jazz, le swing, le lindy-hop… mais aussi explorer le hip-hople krump, la house… Je me suis ensuite frottée à un exercice de transparence en racontant en mouvement vingt ans de carrière dans mon solo Debout et en montrant les coulisses du monde de l’art faites d’efforts, de joies, de remises en question…

L’École de l’égalité des chances ÉLAN ouvre en 2021 au Centre national de la danse (CND) à Pantin et vous en devenez la directrice artistique. Pourquoi ce choix ? 

Catherine Tsekenis, la directrice du CND est à l’initiative de cette école et m’a proposé de la piloter. Cette école a été pensée initialement dans l’optique de soutenir des jeunes passionné·e·s de Seine-Saint-Denis qui n’ont pas forcément le réseau ni les codes pour réussir les concours d’écoles de danse prestigieuses. Pour ce faire, ils suivent pendant le week-end et les vacances scolaires tout un processus visant à leur faire vivre des expériences artistiques inédites : ils rencontrent ainsi des chorégraphe de tous les horizons, des artistes confirmé·e·s avec qui échanger et partager des pratiques diverses. C’est un environnement plutôt ouaté destiné à leur donner suffisamment d’assurance et d’élan pour se lancer dans des carrières artistiques.

Quel conseil donneriez-vous à un·e jeune Séquano-Dionysien·ne qui voudrait se lancer dans ce domaine ? 

D’oser, de ne rien s’interdire car on a les limites qu’on se crée soi-même… Des limites,  il y en a qu’on le veuille ou non sur la route des danseurs, mais la première chose, c’est déjà de s’autoriser à agir, ne pas céder à ses complexes intériorisés. L’avenir est peut-être beaucoup plus ouvert pour la dernière génération qu’on ne l’imagine donc je lui dirais de foncer et surtout de ne pas s’auto-censurer.

Jacques Gamblin et Raphaëlle Delaunay jouent dans Hop !

Le spectacle Hop ! explore la relation professeure-élève, le langage du corps dans la danse, les sensations…

 

Vous retrouverez cette artiste solaire sur scène dans le spectacle Hop mis en scène et interprété par Raphaëlle Delaunay et Jacques Gamblin. Les réservations pour ce spectacle détonant, mélange de théâtre et de danse moderne seront accessibles prochainement sur les sites web des salles de différentes villes de province.

Crédit-photo : Éric Garault et DR

 

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