Après les émeutes, des associations du 93 appellent à « faire avec elles »

Après les émeutes, des associations du 93 appellent à « faire avec elles »
Mort de Nahel
  • Plusieurs associations – parmi lesquelles bon nombre travaillent en Seine-Saint-Denis – appellent le gouvernement à les associer davantage aux décisions prises pour les quartiers populaires.
  • Parmi les causes de la flambée de violence qui s’est produite après la mort de Nahel dans un contrôle de police, elles identifient des rapports police-population très dégradés et des inégalités sociales croissantes.
  • Trois d’entre elles, Cinébanlieue, G Huit et Espoirs Jeunes nous parlent de cette jeunesse des quartiers qui a une nouvelle fois été pointée du doigt.

L’association Cinébanlieue lors d’une de ses actions: le programme Film l’Avenir, qui invite des jeunes des quartiers à réaliser un court métrage en compagnie de professionnels de l’audiovisuel (juillet 2023 à Gagny)

« Depuis sa naissance en 2005, notre association n’a pas arrêté de donner aux jeunes des quartiers des moyens d’expression, de montrer qu’en banlieue ne naissent pas que des problèmes mais qu’on en résout aussi un certain nombre. On a eu beaucoup de résultats positifs, mais quand il se passe des choses comme ça, tout est balayé… »

Aurélie Cardin, directrice du festival Cinébanlieue et de l’association du même nom, a beau être une battante, cette dernière semaine la laisse complètement dépitée. Elle qui avait fondé son association dans la foulée des révoltes urbaines de 2005 en Seine-Saint-Denis a ces jours-ci la terrible impression d’un éternel recommencement des choses.

« Comme en 2005, le détonateur est le même : une violence policière (en 2005, la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur électrique de Clichy-sous-Bois alors qu’ils fuyaient un contrôle de police, et cette fois-ci, la mort de Nahel tué par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre). Suivi d’un déferlement de violences qui montrent qu’on est en train de perdre le contact avec une partie de notre jeunesse. Et ensuite, on vient nous demander de jouer les pompiers mais sans nous associer aux décisions ».

Vendredi 30 juin, une trentaine d’associations de la France entière – dont une dizaine d’entre elles installées en Seine-Saint-Denis- ont ainsi pris la plume pour demander à la Première ministre Elisabeth Borne d’être enfin plus écoutées, elles qui œuvrent au quotidien dans les quartiers populaires.

« Le pays est confronté à une situation aux multiples causes et par notre expérience de terrain, nous avons une partie des solutions simples, concrètes et immédiatement réalisables. Encore faut-il vouloir nous écouter », écrit ce collectif dans une lettre ouverte relayée par Télérama.

Des solutions, Espoirs Jeunes à Blanc-Mesnil, G Huit à Aulnay ou encore la Fabrique 621 à Bondy, tous signataires de l’appel, en proposent en effet au quotidien.

L’association G Huit d’Aulnay

G Huit monte par exemple une maison du bien-être pour les mères et les grand-mères, un lieu d’écoute, de soins, de soutien à la mono-parentalité et également en direction des jeunes, pour retisser du lien avec les adultes. « Notre constat, c’est que dans ces quartiers, trop souvent la structure parentale n’a pas les moyens d’offrir un cadre pour l’éducation harmonieuse des enfants. 4 à 5 enfants vivent dans un F2, une famille mono-parentale, avec un parent aux horaires de travail décalés. Tout cela ne permet pas les temps d’échanges indispensables entre adultes et enfants. Alors, plutôt que de rester entassé dans un logement étroit, l’enfant sort, reste dans la rue et ses dangers. », explique Biyak Soukouna, président de cette association aulnaysienne née en 2003 dans la Cité de l’Europe. Prévenir ces situations d’abandon, œuvrer à l’insertion professionnelle des jeunes en âge de travailler, c’est justement le but de cette structure.

Un bus des institutions

D’autres associations travaillent aussi à restaurer un lien entre police et population- notamment les jeunes- qui est de plus en plus compliqué. C’est le cas d’Espoirs Jeunes, basé au Blanc Mesnil.

Cette structure aimerait lancer avec l’association G Huit un Bus des institutions qui s’engagerait bientôt dans un tour de France des quartiers. « L’objectif est d’aller dans plein de quartiers au niveau national et de faire des actions sur place avec des pompiers, avec des policiers, avec le Raid même si c’est possible. Parler avec les populations, les sensibiliser, partager un moment convivial avec eux sur une journée. », détaille Riad Mahdjoudi, le président de cette association.

Ce focus sur la confiance entre institutions et population s’explique peut-être aussi par le parcours de son vice-président, Moussa Kébé, natif du Blanc-Mesnil et devenu récemment capitaine de la caserne de Gonesse. « Les pompiers de ma caserne ne comprennent pas les agressions qu’on peut subir. On est 24h/24 7J/7 avec la population sans poser de questions d’origine, de couleurs, d’ethnie, de religion…», souffle celui qui croit aux échanges et au lien social. Présente au « Bel été solidaire et olympique », manifestation prévue en juillet-août par le Département pour justement créer de la cohésion dans les quartiers, Espoirs Jeunes posera des premiers jalons de cette action par une initiation à des réflexes de sécurité. « Lors de ces ateliers, on montre aux jeunes comment se servir d’un extincteur. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais c’est le début d’un dialogue », ajoute Kébé.

L’association Espoirs Jeunes, du Blanc Mesnil, dans une de ses interventions auprès des jeunes.

Rapport parlementaire de 2018

Un des points sur lesquels insistent aussi ces associations, ce sont notamment les inégalités sociales qui sont selon elles à la base de l’explosion de la cocotte minute des jours passés. « Les médias se concentrent sur le profil des « jeunes de banlieue » mais les inégalités sociales sont le cœur du problème. On est soi-disant des quartiers prioritaires, mais prioritaires en quoi ? On a 5 fois moins de moyens qu’ailleurs, alors qu’il y a ici 10 fois plus de difficultés, donc cherchez l’erreur ! », insistait Aurélie Cardin. Dès 2018, un rapport parlementaire rédigé par deux élus LR et LREM avait ainsi alerté sur une « rupture d’égalité républicaine » en Seine-Saint-Denis dans des domaines aussi cruciaux que l’éducation, la sécurité ou encore la santé.

Ces jours-ci, c’est Stéphane Troussel, président de la Seine-Saint-Denis, qui se chargeait de dénoncer une autre fake news. « Le premier employeur en Seine-Saint-Denis, c’est la puissance publique. Ce sont les soignants, les enseignants, les forces de l’ordre, les pompiers et tous les agents des services publics, répondait l’élu, scandalisé, au patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux qui avait déclaré dans une interview à France Inter que « le premier employeur de Seine-Saint-Denis, c’est probablement le trafic de drogue. »

La route est longue pour restaurer des liens brisés, chasser les préjugés, œuvrer à l’égalité des chances. Mais on peut faire confiance aux signataires de l’appel pour dès demain, être sur le pont.

Georges Makowski, Isabelle Lopez et Christophe Lehousse

Tous les commentaires2

  • Emilie Chatelet

    Très bel article. Merci pour cet angle. Bravo !

  • Romuald GUEHL

    Merci pour cet article éclairant, qui révèle aussi le travail essentiel des associations notamment grâce aux liens directs qu’elles permettent de tisser avec la population y compris en renforçant les liens familiaux. Ces liens consolident les valeurs de la démocratie et de la République. L’affaiblissement de nombreuses associations fragilise le lien entre l’autorité et la population. Soutenons nos associations !

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